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mai mai 2011
sur candidature
Les Halles de Schaerbeek

Personnes

Pendant ce workshop nous parlerons de transidentité : d’un point de vue philosophique, biopolitique et artistique

In the mood for...?

(image : MF Plissart)
(image : MF Plissart)

" Depuis peu et notamment avec l’expérience des représentations du spectacle P.P.P., j’ai pris pour habitude de dire que je prête mon corps au public pour vivre une expérience qu’il n’osera tenter de lui-même. J’aimerais que le spectateur puisse se reconnaître dans un autre corps que le sien ; s’identifier à un corps qui lui est étrange, voire étranger, ou d’un genre qui ne lui est pas commun, et qu’il puisse ainsi y percevoir l’ambiguïté de l’être humain à travers ses gestes et ses actions.

(image : MF Plissart)
(image : MF Plissart)

Je suis née avec la sensation d’être étrangère au corps qui m’a été donné. N’étant pas cisgenre*, il m’est donc difficile d’imaginer que l’on puisse ne pas questionner son identité. Notre société hétéro-patriarcale ne laisse de place qu’aux hommes, aux femmes et aux hétérosexuels. Chacun à sa place, sans bruit, sans s’aventurer au-delà des limites. Mais quelles sont-elles ? A travers l’écriture performative, j’essaie de remettre en question ces limites impalpables. Sous le titre « Injonglabilité Complémentaire des éléments » (I.C.E.) je propose une réflexion autour de la transformation humaine et des éléments qui l’entourent, dans des formes spectaculaires non didactiques, expérimentales ou non. Je travaille pour cela à mettre en scène des performances chorégraphiées faites de manipulations où le corps et son identité sont en confrontation avec des éléments quotidiens. La glace, l’eau et le vent forment l’espace théâtral de ma recherche sur l’imaginaire de la transformation. Nous sommes toutes et tous soumis à ces éléments, nos réactions sont diverses, nos affectations aussi.

(image : MF Plissart)
(image : MF Plissart)

Dans mon parcours de transition (hormonale) du corps masculin vers un corps féminin, ce ne furent pas les changements corporels qui furent les plus marquants – sans doute parce que je les attendais – mais ce fut plutôt de l’invisible qu’apparurent les transformations les plus déterminantes : les humeurs. Mes humeurs changent, jamais je n’aurais imaginé l’importance que cela représenterait.

Existe-t-il des humeurs féminines ? Des humeurs masculines ? Des humeurs communes ou distinctes ? Des humeurs sociales ? Ces humeurs sont-elles physiologiques ? Les remparts de l’intime ? Ces questions parmi tant d’autres, ces expériences, je propose que nous nous y soumettions dans un laboratoire physique de nos humeurs."

(image : MF Plissart)
(image : MF Plissart)

*Qualifie une personne dont l'identité de genre est en concordance avec son sexe déclaré à l'état civil

Avec l’aide des Halles de Schaerbeek

Il est vivement recommandé aux participants à ce workshop de s’inscrire également au séminaire donné par Paul B. Preciado Mutations et Résistances biopolitiques. Corps, sexe, genre et sexualité à l’ère pharmacopornographique.

Phia Ménard

(image : MF Plissart)
(image : MF Plissart)

Venue de la jonglerie, interprète auprès de Jérôme THOMAS pendant de nombreuses années, Phia MENARD développe depuis 1998 au sein de sa Compagnie Non Nova un univers artistique insolite qui parle du monde d’aujourd’hui. En 2008, elle entame avec « P.P.P. », sa dixième création, un travail de recherche sur la matière intitulé « I.C.E » pour « Injonglabilité Complémentaire des Eléments ». Elle explore les limites en manipulant la glace sous toutes ses formes, l’eau, la vapeur, et l’air. Ces recherches artistiques sont étroitement liées à sa réflexion personnelle sur l’identité.

In Between, texte de Ivan Kralj

(image : MF Plissart)
(image : MF Plissart)

« Le premier sortit : il était roux et tout entier comme un manteau de poils; on l'appela Ésaü. » (Genèse 25 :25)

Aussi étonnant que cela puisse paraître, l’origine de l’appellation de la femme à barbe, la femme Ésaü, se trouve dans la Bible. C’est en effet le fils d’Isaac, très poilu de son état, qui a donné son nom aux femmes dont la pilosité aigue avait en leur temps fait des attractions populaires. Au 17ème siècle Barbara Urselin avait été décrite comme mi-femme, mi-singe, deux siècles plus tard, Jane Barnel était vendue à un cirque par sa propre mère, et aujourd’hui Jennifer Miller revendique fièrement son identité de lesbienne barbue, par ailleurs professeur d’université et artiste de cirque.

L’ambiguïté des genres a toujours titillé et attisé la curiosité des foules qui se pressent aussi attirées qu’effrayées là où l’on exhibe sans complexe cette ambiguïté : au cirque. Le terme « exhiber » a d’ailleurs nourri de nombreux débats éthiques, cependant que certains artistes, comme la barbue Annie Jones, ont pu obtenir des salaires plus élevés que le Président des États-Unis lui-même. Le cirque offre un monde de possibilités à ceux qui, la plupart du temps, restent cachés du monde.

À la fin de son spectacle P.P.P., Phia Ménard s’adresse au public et lui dit « N’ayez pas peur ». Dans un monde régi par l’uniformité, c’est en effet la peur qui nous guide face à ceux dont le genre n’est pas clairement identifiable, une peur et une curiosité séculaires. Ménard, artiste transgenre en quête de son identité propre à travers un voyage qui la mène de Philippe à Phia, construit cet effrayant « autre » sur scène avec une demi-tonne de glace. La glace fond. L’artiste fond. Quel est l’état de la matière humaine ?

En soi, le cirque est une forme d'art transgenre, une forme entre les genres. Combinant les éléments du large spectre de différentes formes artistiques, le cirque est hybride, tant dans sa forme que dans son contenu. Encore aujourd’hui, lorsqu’on parle de cirque contemporain, il n’est pas rare qu’on se voie demander de quoi il s’agit réellement.

Ainsi, le transgenre et le cirque ont en commun la non-conventionalité de leurs identités. Se référant à l’époque où le cirque présentait encore des freak shows, Rachel Adams affirme que les termes « monstres » et « queer » réfutent la logique de la politique identitaire ainsi que les problèmes irréconciliables de l'inclusion et l'exclusion, qui accompagnent immanquablement les catégories identitaires. Un des freak shows les plus prisés présentait un hermaphrodite, un moitié-moitié comme on les appelait alors. La croyance populaire disait qu’un moitié-moitié était divisé verticalement entre le côté droit qui représente la force et le masculin, et le gauche qui représente le faible et le féminin. Pour accentuer leur côté féminin, les hermaphrodites se créaient un faux sein (quitte à parfois s’infliger de dangereuses injections de matières synthétiques), et s’exerçaient intensément pour développer les muscles de leur bras droit. Ils jouaient ainsi sur l’effet de choc, que l’on retrouve aujourd’hui encore. Par exemple, dans Jim Rose Circus, l’artiste transsexuel de porno Buck Angel ne dévoile ses parties intimes que pour révéler qu’il a un vagin.

Les changements d’identité, de genre, les transformations entre hommes et femmes sont très présents dans le cirque, où ils semblent légers et faciles lorsqu’on joue l’identité de l’autre – les femmes étant trop peu nombreuses dans le secteur, les acrobates masculins se travestissent souvent. D’autres jouent de ces changements identitaires sur scène, comme par exemple Ray Monde ou la favorite de Jean Cocteau, Barbette, qui changeait de genre pendant le spectacle lui-même.

Pourtant, comme Ménard le révèle dans P.P.P, cette transition est en réalité un travail long et douloureux, et qui ne va pas sans risque… autre élément que partagent le transgenre et le cirque.

Ivan Kralj dirige le Festival novog cirkusa et est à la base de nombreux projets dans le domaine des arts du cirque en Croatie. Il est l’éditeur en chef du portail Kupus.net et du magazine Kupusov list.