Dieudonné Niangouna
- workshop
Oui, il faut pousser le corps jusqu’à l’épuisement total de l’idée.
Dieudonné Niangouna
La scène est la magie du geste. La scène que je connais n’est pas un périmètre, encore moins une convention, c’est une manifestation de soi inventée par le regard. C’est le mouvement qui engendre un espace et se laisse nommer au profit de l’inquisiteur. Le passant qui guette ou le spectateur qui s’assoit n’est ni un curieux ni un public, mais la continuation du mouvement entamé par l’acteur. Il n’y a pas de regard qui ne naisse de l’acteur. Toute construction, tout artifice, tout jeu, est une lubie dangereuse, comme le lieu, ou tout au moins ce qu’on appelle l'espace, n’existe vraiment qu’en mouvement, sinon le théâtre n’existerait pas.
Chaque fois qu’on écrit le théâtre, il se met automatiquement à mourir avant le point final. Chaque fois qu’on veut représenter quelque chose, la fausseté s’empare de tout. Moi ce qui m’intéresse c’est de sortir la bête et de l’envoyer au combat.
Entre le théâtre joué et le théâtre représenté, je ne choisis ni l’un ni l’autre. Deux apologies de la lâcheté qui droguent le plaisir et masturbent l’illusion. Ce qui m’intéresse c’est la traversée, le rituel, vivre quelque chose et se laisser déjouer. C’est là toute la beauté du théâtre, quand il déraille.
La scène, ou la poétique de l’indicible
L'écriture pose le problème des limites. Impensable au moment de la naissance de la dramaturgie qui confronte la fable à la scène. L'écriture, telle que je la propos,e pose le problème de manière encore plus brute que la question centrale de la dramaturgie. Quelle dramaturgie doit se faire ? C'est à dire, hors des contours connus et des sentiers battus, puisque que ceux-là sont déjà pensés. Leur écriture est morte en les commettant. À leurs propres limites. Modernité du seul et raisonnable but d'être pratique à la pensée de son temps. Contemporain à sens unique.
Ce que je propose ce sont des espaces d'intimité, où se dévoilent à la fois la raison d'en faire du théâtre et la notion du non dit, du non vu, et du non su, cette zone d'ombre, rebelle à toute théâtralité, abstraite à la logique et refusant toute explication pour assujettir la compréhension, indocile à toutes promesses, voguant sans cesse à contre-courant, non par goût, mais par nécessité. Par droit à la part de l'ombre.
J'estime qu'il y a du théâtre dans les choses les plus indescriptibles, et qu'il y a refus de narration dans toute poétique. Je ne m'abstiens pas de proposer l'acteur comme poète de sa propre présence sur la scène, seule et véritable raison de sa culpabilité avant qu'il ait commis, ou pas, le moindre acte.
L'acteur doit élaborer son circuit, son chemin, comme le poète explore sa crise, tout en traçant les chemins par lesquels il est sensé bifurquer pour aller ailleurs. Le circuit de l'acteur se trouve dans sa libération de tous les artifices qui l'accompagnent, de tous les facteurs qui le fondent, de toutes les grâces qui l'ont fait roi. De telle sorte qu'après avoir accouché des matériaux qui lui ont permis de raconter sa présence, autrement que son histoire, il est sensé faire disparaître tout ça, comme le poète abrège le tangible et nie le palpable.
L'écriture meurt, la scénographie meurt, le subterfuge meurt, meurent les costumes, meurt la mise en scène, et meurt le comédien. Reste une poétique organique à la place du plateau mort. La scène ne devient plus que l'illusion du spectateur.
Le stage
« L'important dans la recherche n'est pas de trouver, mais de chercher. Trouver n'est qu'un accident. »
Nous partirons des textes, des improvisations, des bouts d'instant, des observations, des discussions, des enregistrements, du vécu, des acteurs. On cherchera dans la relation à rendre indécise la part de l'autonomie, pour emmener l'acteur à s'écrire sur une partition qui n'est pas la sienne mais qu'il finira par s'approprier. On cherchera dans le non-codé des choses, dans des frontières qui ne se touchent pas, où se cache la bête qui doit sortir. Bête qui n'est ni le comédien, ni l’auteur, ni le metteur en scène. On écrira alors le circuit, et l’on invitera tous les paramètres rencontrés en cours de route à venir s'intégrer dans cette épreuve de narration. Encore une fois, il n'est pas question d'atteindre le but, mais d'exécuter le processus.
Ensemble avec les acteurs, nous mettrons en place des mécaniques d'écriture, sans esprit, sans préoccupation. Nous écrirons, aussi vite et maladroitement que la pensée, puis nous irons déchirer ce que nous aurons écrit sur le plateau.
Certains acteurs sont des rêves, d’autres des feux.
La grande force de ce travail résidera dans une tension physique poussée à l’extrême.
Prévoir tenue de répétition, et une tête de rechange ; parce qu’il faut bien abandonner la tête cartésienne le temps de l’épreuve. Maintenir son moral, et perdre ses certitudes. Ne pas trop attendre des explications ni chercher à comprendre. Et surtout, surtout ne pas commettre la bêtise de faire du théâtre ou, pire, de faire le comédien.
Fin de stage- ouverture
Le stage “La scène ou la poétique de l’indicible” mené par Dieudonné Niangouna pour 13 artistes se termine ce mercredi après une période de travail intense.
Si vous désirez découvrir le résultat de cette rencontre, vous êtes les bienvenus ce mercredi 13 novembre entre 14 et 19h: ils traverserons une dernière fois le chemin exploré pendant ces dix jours.
Le temps de présentation est long, vous pourrez donc venir et partir quand vous voulez pendant cette période de cinq heures. Cela se passera au Petit Théâtre Varia (154 rue Gray, 1050 Bruxelles).
Entrez par la grande porte, traversez la cour, c’est au rez de chaussée, au fond du couloir.
Merci d’entrer dans la salle à pas de loups! Le travail ne sera pas interrompu pendant ce laps de temps.
N’hésitez pas à revenir vers 19h pour prendre un verre et discuter avec les participants de leur expérience.
Dieudonné Niangouna
Acteur-poème et metteur en scène venu du Congo, où il dirige aujourd’hui un festival, Dieudonné Niangouna était artiste associé du festival d’Avignon 2013.
Né en 1976, à Brazzaville (République du Congo), Dieudonné Niangouna est comédien, auteur, metteur en scène. Rien ne décrit mieux l’écriture de Dieudonné Niangouna que le nom de la compagnie : Les Bruits de la Rue. Son oeuvre littéraire se nourrit en effet de la rue, reposant sur un langage explosif et dévastateur, à l’image de la réalité congolaise.
À ses compatriotes, comme à tous les spectateurs qu’il rencontre bien au-delà des frontières du Congo-Brazzaville, il propose un théâtre de l’urgence, inspiré d’un pays ravagé par des années de guerre civile et par les séquelles de la colonisation française. Un théâtre de l’immédiateté, dans une société où il faut résister pour survivre quand on est auteur et comédien. Un théâtre protéiforme qui fait appel à la langue française la plus classique comme à une langue populaire et poétique, nourrie de celle du grand écrivain congolais Sony Labou Tansi. Conscient de la triple nécessité pour le langage théâtral d’être à la fois écrit, dit et entendu, Dieudonné Niangouna se sert d’images et de formules empruntées à sa langue maternelle et orale, le lari, pour inventer un français enrichi et généreux, « une langue vivante pour les vivants ».
Avec les compagnies de Brazzaville, il joue, entre autres, dans Le Revizor de N. Gogol, L'exception et la règle de B. Brecht, La liberté des autres de Caya Mackhélé.
En 2005 Dieudonné Niangouna a fait partie des quatre auteurs de théâtre d’Afrique présentés en lecture à la Comédie Française, au Vieux Colombier.
Avec Les Bruits de la Rue, il signe les textes et les mises en scène de Big! Boum! Bah!, d'après Nouvelle Terre de Weré Wéré Liking en 2000 ; de Carré Blanc, en 2001 ; Intérieur-Extérieur en 2003 ; Banc de touche en 2006 ; Attitude Clando, créé au Festival d’Avignon 2007 et Les Inepties Volantes, créé au Festival d'Avignon 2009.
En 2005, le photographe Nabil Boutros lui consacre un portrait au sein de son exposition "Portraits latents" auprès de trois autres auteurs africains : Koffi Kwahulé, Koulsy Lamko, et Marcel Zang.
Ses textes sont publiés au Cameroun aux éditions Sopecam et Interlignes, en Italie aux éditions Corsare et en Frances aux éditions Ndzé et Carnets-Livres.
Les Inepties volantes (suivi de) Attitude clando est édité chez Les Solitaires Intempestifs en septembre 2010.
Illustration
Le Cifas fait appel à des dessinateurs contemporains pour illustrer sa communication. Anne Brugni a illustré le stage "La scène, ou la poétique de l’indicible".
Anne Brugni grandit dans le Jura avant de s'installer à Bruxelles. Ses illustrations voyagent entre nuages, saucisses, et autres formes tubulaires. Elle est aussi membre du collectif "Hôtel Rustique".